Quand le glissement hante les esprits de la cité de l’UA
7 août 2020La tentation ! Encore la tentation, vieille comme la terre. Elle emporte tout sur son passage sauf le fils de Dieu qui l’a vaincue. Mais les hommes, eux, ont la meilleure formule : « la meilleure façon de résister à la tentation, c’est d’y succomber, comme ça elle ne te poursuivra plus ». Joseph Kabila en sait quelque chose pour avoir mordu à l’hameçon du « glissement » de 2016, imposant ainsi le concept dans le dictionnaire politique congolais. Son successeur peut-il résister à ce miel que lui tend le pouvoir ?
A la montagne sainte de Ngaliema, où Tshisekedi « jeûne, prie toujours avec sa bible », un ange des ténèbres est venu lui proposer toutes les merveilles du pouvoir : « tu vois : le pouvoir, les élections, l’après 2023, m’appartiennent. Si tu t’agenouilles devant moi, et tu m’adores, je te donne tout même l’éternisation au pouvoir », lui a-t-il proposé. Il n’y a que Jésus qui pouvait refuser une telle proposition.
Cet ange s’est déguisé. Il a pris le visage des hommes. L’ancien vice-ministre de l’Intérieur, Basile Olongo, par exemple. « Organiser les élections en 2023 exige le respect de certains préalables (arriérés électoraux ; nettoyage du fichier dont le coût est estimé à 400 millions dollars US ; le recensement ; la révision constitutionnelle). Tout ça logiquement, ça peut nous prendre 4 à 5 ans et nous sommes partis pour 2030 ». C’est son analyse qui n’a que très énervé le Front Commun pour le Congo (FCC).
Mais la famille politique de Joseph Kabila ne devrait pas oublier qu’elle était championne en la matière. C’est elle qui a laissé plusieurs jurisprudences qu’exploite aujourd’hui, en sa défaveur, le pouvoir en place. Le mot « glissement » est l’un de cette jurisprudence. L’ancien régime s’est illustré par l’organisation des dialogues réunissant tous les acteurs politiques, pour consacrer la mise en place des gouvernements d’union nationale. « Mais le président de la République devait rester en fonction jusqu’à l’installation du nouveau président», insistait l’ancien FCC.
Le coronavirus, l’allié de Félix Tshisekedi
L’enfant terrible de la 10e rue devrait-il emboîter le pas à son prédécesseur ? A la première lecture des faits, la tentation est forte et il ne peut que se lancer dans le jeu. Question de faire chier cette famille politique qui avait moult manigances pour minimiser l’opposition, dont il faisait partie.
A l’heure actuelle, si c’était Kabila au pouvoir, tout plaide pour un report des élections de 2023. Le coronavirus qui a secoué le monde entier est un allié important de Tshisekedi. Cette crise pandémique, dure à vivre par certains, a beaucoup aidé le 5e président. Pendant le confinement, il a pu mettre fin à la tuerie, en série des membres de son cabinet, par un empoisonnement venu d’on ne sait d’où. Le coronavirus a joué en sa faveur en faisant oublier certaines de ses nombreuses promesses (la gratuité de l’enseignement, par exemple, a eu du souffle).
Il y a aussi les signataires de l’appel du 11 juillet
Comme cela ne suffisait pas, la covid-19 s’invite dans le débat du report des élections. Ce n’est pas Donald Trump qui pourrait sortir une déclaration exigeant la tenue des élections en RDC. Le président de la grande puissance mondiale a déjà donné le ton du report, en craignant les fraudes à la présidentielle de novembre prochain. Tshisekedi ne peut en faire autrement. En bon élève du pays de l’Oncle Sam, il a un argumentaire à avancer à ses critiques.
Il se voit aidé, bien qu’il ne se soit pas encore prononcé sur le sujet, par les 13 signataires de l’appel du 11 juillet ; les membres de son parti, l’UDPS ; certains sympathisants comme Basile Olongo, et surtout les jurisprudences : le glissement de Joseph Kabila en 2016 et la proposition du report des élections américaines.
Face à un tel contexte, le fils du Sphinx de Limete, comme son prédécesseur, ne peut que s’offrir à la tentation, lui disant « me voici, prend moi et consomme moi comme tu veux ». Le bon disciple sait que quand on toque à la porte, on n’endurcit pas le cœur. Ce sera le malheur de certains cadres du FCC qui sont en train de réaliser que le pouvoir leur a échappé. Le malheur des uns fait le bonheur des autres. Et Fatshi se frottera les mains de n’avoir pas trahi la nation quand l’opinion sait qu’il n’avait pas d’autre choix que de remettre 2023 à 2030, pourvu que ces élections soient bien organisées.
« Que ceux qui sont pressés pour l’organisation des élections en 2023 nous disent par quelle baguette magique cela peut être possible ? », a lancé Basile Olongo. Et en tout, le doute plane sur l’organisation de ces élections en 2023. Tshisekedi a toutes les manœuvres entre ses mains. Il peut la jouer à la Kabila comme ce fut le temps d’avant 2018.
Ric KAP